Éthiquette ?

#billet #oisivetéRadicale #fedivers

Quand je dois faire des choix, petits ou grands, je les catégorise schématiquement dans ma petite tête de la manière suivante :

On peut bien sûr avoir des avis différents sur ce qui est bien ou mal ou entre les deux, et trouver certains choix plus ou moins contraignants, douloureux, coûteux, etc.

Et avant qu’on ne m’allume, je parle bien de situations où on a le choix, de la marge de manœuvre, ce qui est souvent un privilège (de classe, de genre, d’origine, etc.).

Or donc je me représente les choix de la façon suivante :

Graphique dessiné. L’axe vertical représente la commodité et l’axe horizontal représente l’éthique. Dans le quadrant supérieur gauche (commode et peu éthique), on a la légende lâche. Dans le quadrant inférieur gauche (peu commode et peu éthique), on a la légende Stupide. Dans le quadrant supérieur droit (commode et éthique), on a la légende Normal. Et dans le quadrant inférieur droit (peu commode et éthique), on a la légende Courageux.

  1. Faire un choix pas éthique et commode, c’est une compromission
  2. Faire un choix pas éthique et chiant, c’est stupide
  3. Faire un choix éthique et commode, c’est la moindre des choses
  4. Faire un choix éthique et chiant, c’est courageux

Mais sortons de la théorie et voyons ça en pratique.

Bouffe

Graphique dessiné. L’axe vertical représente la commodité et l’axe horizontal représente l’éthique. En haut à gauche, on a un emoji steak, au milieu, on a un emoji œuf et un emoji fromage, et en bas à droite, on a un emoji brocoli.

Je suis végétarien. Pour plein de raisons, ça ne m’a demandé que très peu d’effort, donc un choix 3 (plutôt éthique et commode, donc assez normal). Mais pour un carniste qui adore la viande et qui voudrait s’en passer par souci environnemental ou antispéciste, ce serait un choix 4 (plutôt éthique et difficile/coûteux/chiant/douloureux, donc plutôt courageux). Et même si j’aimerais bien arrêter les œufs et le fromage pour les mêmes raisons, je ne l’ai pas (encore) fait alors que rien ne m’en empêche, et je tombe donc dans le choix 1 (plutôt lâche).

Réseaux sociaux

Graphique dessiné. L’axe vertical représente la commodité et l’axe horizontal représente l’éthique. En haut à gauche, on a le logo de X et le logo de BlueSky, et en bas à droite, on a le logo du Fedivers.

C’est sûrement l’exode de TwiX qui me refait penser à tout ça.

Rester deux ans sur un réseau qui promeut agressivement les idées d’extrême droite quand on est de gauche, est-ce éthique ? Ne participe-t-on pas à légitimer et à banaliser le fascisme ? Ne contribue-t-on pas de la valeur au réseau ? N’alimente-t-on pas les algorithmes qui se nourrissent du clash ? Ne donne-t-on pas trop de visibilité aux takes pourries en mordant à l’hameçon à chaque provoc ?

On est quelques-un·e·s à avoir quitté le navire lorsque Musk a racheté Twitter pour se retrouver sur Mastodon et le #fedivers, mais combien de gauchistes et de médias de gauche et d’extrême gauche n’ont pas semblé se poser la question de rester ou de partir ?

Dans mon monde rêvé, ils seraient partis depuis longtemps, et ils auraient quitté la sphère marchande et le capitalisme de surveillance pour s’installer sur un réseau non commercial, décentralisé et autogéré. Ça leur aurait coûté un peu d’effort et de temps d’adaptation, mais ils auraient pu réconcilier leurs discours et leurs actes.

Maintenant que Musk est futur ministre, les gens se barrent sur #BlueSky, ce qui est indubitablement le bon choix si on ne veut pas s’emmerder, et ne semblent pas se soucier de qui contrôle ou finance ce réseau (spoiler, c’est des fascistes), ou du moins ils évacuent parfois cette considération avec une facilité déconcertante.

Alors que pour moi, même si on ignore ses accointances nazies (ce qui m’est impossible), aller sur BlueSky, c’est au moins un choix 1 (une grosse compromission) et peut-être même un choix 2 (une grosse connerie).

Covid

Graphique dessiné. L’axe vertical représente la commodité et l’axe horizontal représente l’éthique. En haut à gauche, on a un emoji de personne qui se cache les yeux, au milieu, on a un emoji seringue, et en bas à droite, on a un emoji de bonhomme masqué

Enfin, prenons le #covid et le port du masque. Si on évalue le port du masque en se limitant à l’axe chiant/commode, ben c’est facile : on n’en porte pas. Si l’on prend en compte le risque de tomber malade, le choix est un peu plus tendu. Si l’on prend en compte la réalité du fonctionnement et de la circulation du virus et ses conséquences potentiellement graves pour soi, le choix devient plus compliqué.

Mais si l’on introduit une dimension éthique, et que l’on prend en compte le fait que l’on condamne d’autres gens (que l’on rejoindra inévitablement un jour) à se cloîtrer pour éviter de mourir trop tôt, ne pas porter de masque, je trouve ça carrément dégueulasse.

Et donc ?

(Je crois que) c’est là où je veux en venir : j’ai l’impression, à tort ou à raison, je n’en sais rien, que la majorité des gens que je connais de près ou de loin, qui sont généralement ni de droite ni totalement clueless et plutôt bienveillants, ne prennent pas réellement en compte cette dimension éthique dans leurs choix. Quant aux gens militants, j’ai trop souvent l’impression qu’ils confondent choix éthique avec intérêt politique.

Et si cette interrogation m’obsède depuis aussi longtemps, c’est parce je pense que la prise en compte de cette dimension éthique nous aurait épargné bien des souffrances et bien des outrances, et qu’elle serait la condition préalable nécessaire mais insuffisante pour éviter le pire du pire, dans à peu près tous les domaines.

Ou comme je l’ai pouété sur le #fedivers derrière un Content Warning :

Je suis intimement persuadé que toutes nos petites compromissions (et je m’inclus dedans) mises bout à bout pèsent lourd dans la merdification du monde.