Malentendu musical
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J’aime écrire de la musique, mais je n’aime pas particulièrement en jouer. Je joue pour composer. Jouer est un moyen, pas une fin.
Pour la plupart des musiciens, une composition n’est qu’une occasion de jouer. Plus une composition est contraignante, plus ces musiciens sont contrariés.
J’écris des chansons à texte, mais le texte aussi n’est qu’un moyen. Je trouve un sujet, ou j’ai envie d’exprimer une idée ou un sentiment, puis le texte suggère une mélodie et une rythmique, qui suggèrent à leur tour une harmonie, puis une structure se dégage. Il en résulte un objet musical, qui est la fin recherchée, car seule la #musique est parfois capable de me mettre les poils, quoi que raconte le texte, même lorsqu’il est chiadé et que j’en suis fier.
Pendant des années, je composais sans vraiment maîtriser le moindre instrument. Période 4 pistes à cassette + orgue Casio + saxo, puis période ordi + clavier MIDI. Apprendre à jouer à peu près correctement de la guitare (rythmique, RAB des solos endiablés) m’a simplifié la vie, mais ne me procure de la joie que dans la mesure où ça me permet de composer et d’entendre un début de résultat plus rapidement et sans prothèses électroniques. La preuve : je ne joue et ne sais jouer que mes propres morceaux.
Mais le fait d’être capable de les jouer entretient le malentendu.
Dans la même veine, j’écris des chansons (je suis donc un songwriter), mais je n’aime pas spécialement chanter. Je pourrais essayer de trouver un chanteur ou une chanteuse, mais je sais pertinemment que les chansons que j’écris ne sont pas spécialement fun à chanter, puisqu’elles ne sont pas des prétextes à cela, et je n’ai donc pas envie d’imposer ça à une personne qui ne chante que pour le plaisir de chanter (et je n’ai pas envie de me payer les services d’un ou d’une mercenaire).
Je considère que mes interprétations et enregistrements sont d’une qualité suffisante pour transmettre l’idée musicale et susciter du plaisir chez un public sensible à ce que charrie ma musique.
En 2019, j’ai joué mes chansons « en live » avec un compère bête de scène. Il appréciait réellement mes morceaux, pour les raisons qui me tiennent à cœur, et c’est lui qui m’a convaincu de les jouer en public. Mais il n’a compris que tardivement que pour moi, c’était finalement plus une souffrance qu’un plaisir. Heureusement, le #Covid a mis fin à nos concerts, et une saleté de crabe vient de mettre brutalement fin à tout espoir de reformation des Bons Sauvages. Rock In Paradise, Éric.
Tout ce qui précède explique clairement à mes yeux le succès relatif de ma musique (j’ai eu mes quarts d’heure de gloire). Elle plaît aux gens qui aiment mes textes (en s’en foutant plus ou moins de la musique), ou aux personnes qui aiment la musique pour la musique (et qui goûtent la mienne). Elle ne plaît pas aux gens pour qui la musique est un accessoire de mode ou un prétexte pour danser, ni aux snobs pour qui l’humour invalide le « sérieux de la démarche artistique ».
Une personne qui pige et apprécie vraiment ce que j’ai tenté de faire vaut tous les likes et applaudissements anonymes du monde. J’ai la chance d’avoir deux de ces personnes dans ma vie (et d’en avoir croisé quelques autres au fil des ans).
Je n’ai jamais essayé de gagner ma vie en faisant de la musique, pour plein de raisons, et je ne regrette absolument pas ce choix. Je n’ai jamais vraiment rêvé de renommée ni de foules (et de groupies) chavirées par mon immense génie. Dès mes débuts musicaux, mon fantasme absolu était qu’un ou une mécène anonyme me paie le gîte et le couvert, dans un endroit reculé, sans limite dans le temps ni obligation de résultat.
Quelques décennies plus tard, je suis devenu, à peu près et à temps partiel, ce mécène. J’ai la chance d’avoir pu acheter une petite maison dans un endroit reculé, et de vivre chichement en ne consacrant qu’environ un mi-temps à un travail alimentaire (la traduction, une autre forme d’écriture créative). Un demi-fantasme absolu, c’est déjà pas mal, même si je n’ai plus l’énergie créative de mes vingt ans.